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Lutter contre la précarité énergétique

Publié le 5 février 2024

Instaurer un droit à une alimentation minimale en électricité

  • Etat des lieux

L’article L. 121-1 du code de l’énergie rappelle que l’électricité est un « produit de première nécessité ». C’est une évidence, puisque, sans électricité, il n’y a pas de lumière, pas de chauffage (même au gaz ou au fioul), pas d’eau chaude, pas d’accès à internet, ni au téléphone.

Or, en 2022, 157 000 foyers ont fait l’objet d’une coupure de leur fourniture d’électricité en raison d’impayés. Il n’est pas acceptable, dans un pays comme la France, au vingt et unième siècle, que des foyers puissent se retrouver dans une telle situation de précarité et de pauvreté et soient l’objet de coupures d’électricité, qui sont d’une très grande violence.

Le décret n° 2023-133 du 24 février 2023 fixe une période minimale de 60 jours de réduction de puissance jusqu’à 1 kVA, préalable à la coupure et à la résiliation, pour les ménages bénéficiaires du chèque énergie et du fonds de solidarité pour le logement équipés d’un compteur communicant, en cas d’impayé.

  • Propositions :

Depuis le décret du 24 février 2023, il est acquis que les consommateurs qui font l’objet d’une coupure de leur fourniture d’électricité sont ceux qui ont véritablement des difficultés à régler leurs factures. En effet, les ménages « mauvais payeurs » à l’origine d’impayés sans être en situation de précarité énergétique ne prendraient pas le risque de subir une telle réduction de puissance, qui consiste un handicap certain pour leur vie quotidienne et qui est donc fortement dissuasive.

Toutefois, ce décret ne répond pas à la problématique évoquée par le médiateur national de l’énergie.

En complément de l’instauration d’un fournisseur de dernier recours en électricité, le médiateur national de l’énergie considère ainsi que les coupures d’électricité pour impayés devraient être interdites. Ces coupures pourraient être remplacées par la création d’une puissance minimale d’alimentation, qui inciterait au paiement sans être aussi brutale.

  • Il a donc proposé en novembre 2021 devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale que soit instauré un droit à une alimentation minimale en électricité tout au long de l’année pour les résidences principales, à l’instar de ce qui existe déjà pour l’eau, le logement ou l’ouverture d’un compte bancaire, et qu’il soit interdit de couper l’électricité pour impayés.
  • Le fournisseur EDF a indiqué, le lendemain même de la déclaration du médiateur national de l’énergie, qu’il mettrait en application sa proposition sans attendre que la loi le lui impose, ainsi que le pratiquait déjà le fournisseur PLUM (devenu OCTOPUS ENERGY) depuis 2021.

Le décret du 24 février 2023 et cette décision d’EDF ont eu pour conséquence de faire baisser le nombre de coupures de moitié. Auparavant, près de 300 000 foyers faisait l’objet d’une coupure chaque année.

EDF a mené au printemps 2023, en partenariat avec la Fondation Abbé Pierre, une enquête auprès de ménages en impayés ayant vécu sous réduction de puissance.  L’étude établit que :

– Avec une information préalable, une grande partie des ménages, malgré les difficultés, perçoit plutôt bien la logique consistant à remplacer la coupure par une limitation de puissance

– 60% des ménages limités contacte EDF pendant le processus de relance, avant la limitation de puissance

– 11 jours: c’est la durée médiane de la limitation de puissance qui se termine par un rétablissement

– A l’issue de la limitation de puissance, la dette du ménage s’est globalement améliorée pour 7 clients sur 10 avec 42% ayant vu leur dette réduite et 29% leur dette totalement résorbée.

Ce bilan concret et positif de cette mesure qui a permis d’éviter une interruption de fourniture d’électricité pour des milliers de clients nous incite à poursuivre nos efforts de prévention afin que nos clients consomment moins et nous contactent dès les premières difficultés de paiement pour engager les démarches nécessaires et trouver la solution la plus adaptée à la situation de chacun.

Le médiateur national de l’énergie propose donc que les foyers ne puissent plus faire l’objet de coupures de leur alimentation en électricité et qu’une alimentation minimale (de 1 à 3 kVA à déterminer selon les cas) soit maintenue, sans durée maximale de maintien.

Pour éviter que cette mesure ne pèse financièrement sur les fournisseurs, ceux-ci conserveraient la possibilité de résilier les contrats pour impayé et, dans ce cas, les consommateurs ne parvenant pas à trouver de fournisseur auraient automatiquement droit à un contrat avec un fournisseur de dernier recours.

Le coût d’une telle mesure peut être raisonnablement estimé à une cinquantaine de millions d’euros au maximum. En effet, d’une part, il existe déjà une trêve des coupures d’électricité pendant 5 mois en hiver (du 1er novembre au 31 mars) et, d’autre part, les fournisseurs d’électricité indiquent que la réduction de puissance d’alimentation en électricité permet, lorsqu’elle est mise en place, de régler près de deux tiers des cas d’impayés : les « mauvais payeurs » paient leurs dettes et un certain nombre de foyers en réelle précarité le font également grâce aux aides sociales qui existent et qu’ils avaient négligé de solliciter.

Cette estimation d’un coût maximum d’une cinquantaine de millions d’euros est à mettre en perspective avec le versement d’un chèque énergie supplémentaire de 100 euros (900 millions d’euros) ou la mise en place d’un « bouclier tarifaire » pour l’électricité et le gaz (32 milliards d’euros), qui restent des solutions d’urgence et de court terme, mais ne règlent pas la question d’un accès minimal à l’électricité des foyers les plus précaires.

Le médiateur considère que les modalités de mise en œuvre de cette mesure devraient faire l’objet d’une concertation avec les parties prenantes (pouvoirs publics, fournisseurs, gestionnaires de réseaux, associations de consommateurs), afin de déterminer la puissance minimale adaptée, et permettre une bonne articulation avec les autres dispositifs (notamment le fournisseur de dernier recours).

Une telle mesure a également été préconisée par le Conseil national du débat sur la transition énergétique, ainsi que par le CESE dans son avis de juillet 2014 sur le projet de loi de programmation pour un nouveau modèle énergétique français[1].

Verser directement le fonds de solidarité pour le logement (FSL) aux départements

 Les aides au titre du Fonds de solidarité pour le logement (FSL) sont directement versées aux départements par les fournisseurs d’énergie avec lesquels ils ont conclu une convention, et les fournisseurs sont ensuite remboursés par l’État. Or, seuls les fournisseurs les plus importants sont en mesure de signer des conventions avec tous les départements, et les consommateurs éligibles subissent une double inégalité de traitement, selon leur département d’habitation et selon leur fournisseur d’énergie.

Le médiateur national de l’énergie propose que le dispositif du Fonds de solidarité pour le logement (FSL) soit simplifié et financé par un versement direct de l’État aux conseils départementaux, et que son montant soit calculé en fonction du nombre de foyers bénéficiant du chèque énergie résidant dans le département. Les fournisseurs conserveraient néanmoins la possibilité de verser aux départements une contribution complémentaire volontaire, qui ne ferait pas ensuite l’objet d’un remboursement sur fonds publics.

Mettre en place un fournisseur de dernier recours

  • Etat des lieux

L’électricité est « produit de première nécessité », d’après l’article L. 121-1 du code de l’énergie. Si une disposition identique n’existe pas pour le gaz naturel, c’est qu’il est possible de recourir à un produit substituable ; toutefois, en pratique, cette substituabilité n’est pas immédiate, car elle nécessite des investissements et un certain délai avant de pouvoir être mise en œuvre.

La directive 2003/54/CE du 26 juin 2003 incitait les États membres de l’Union européenne à se doter d’une structure permettant d’assurer un service universel d’accès à l’électricité. Des dispositions en ce sens sont aujourd’hui prévues à l’article 27 de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité :

« Pour assurer la fourniture d’un service universel, les États membres peuvent désigner un fournisseur de dernier recours. »

La Commission européenne, dans une recommandation 2023/2407 du 20 octobre 2023 sur la précarité énergétique, vient de rappeler qu’afin « de protéger davantage les consommateurs et d’assurer la continuité de l’approvisionnement, les États membres devraient veiller à désigner un fournisseur de dernier recours ».

En France, il n’existait à l’origine qu’un dispositif de fourniture dite « de dernier recours » en gaz naturel, prévu en cas de défaillance d’un fournisseur, pour que les sites exerçant une mission d’intérêt général (hôpitaux, etc.) puissent continuer à être alimentés en gaz (dispositif codifié à l’article R.121-6 du code de l’énergie). Depuis le décret n° 2021-273 du 11 mars 2021 relatif à la fourniture de gaz naturel et d’électricité, sont prévus :

  • Un mécanisme de fourniture dite « de secours», en cas de défaillance d’un fournisseur de gaz naturel ou d’électricité ;
  • Et un mécanisme de fourniture « de dernier recours» destiné aux consommateurs de gaz qui, après l’extinction des tarifs réglementés de vente de gaz naturel au 1er juillet 2023, ne parviendraient pas à trouver un fournisseur.

Dans les deux cas, les fournisseurs « de secours » et « de dernier recours » doivent être désignés au terme d’un appel d’offres mené par le ministère de la transition énergétique

Selon le CEER (association des régulateurs européens de l’énergie) et l’ACER (agence ce de coopération des régulateurs de l’énergie) en 2023[2], 26 États membres ont mis en place une forme de fournisseur de dernier recours en électricité. Parmi eux, 25 ont mis en place un fournisseur « de secours » en cas de défaillance d’un fournisseur de gaz naturel ou d’électricité. D’autres ont prévu un fournisseur « de dernier recours » : 12 Etats membres pour des consommateurs « inactifs », 5 autres pour des consommateurs ayant des difficultés de paiement. La proportion de ménages fournis par de tels dispositifs varie considérablement entre ces Etats membres : tandis qu’en France 0,06 % d’entre eux sont concernés, cette part atteint 29,7 % en Espagne ou 54% en Irlande.

  • Propositions

À l’instar de ce qui est prévu pour le gaz naturel, il apparaît nécessaire de mettre en place un fournisseur de dernier recours en électricité, afin de permettre aux consommateurs qui ne parviennent pas à souscrire de contrat d’en trouver un, notamment sur le territoire des entreprises locales de distribution (ELD).

  • Il est souvent objecté que les tarifs réglementés de vente (TRV) apportent une garantie de fourniture d’énergie, ce que soutient également le fournisseur historique EDF. Cette affirmation n’apparaît toutefois pas exacte, dans la mesure où les TRV n’apportent aucune garantie en termes de fourniture d’énergie puisque les fournisseurs historiques refusent parfois de proposer un contrat au TRV au consommateurs ayant une dette chez eux.
  • En particulier, sur les territoires des ELD, dans lesquels la concurrence est quasi inexistante, le médiateur national de l’énergie est régulièrement saisi par des consommateurs dont l’alimentation en énergie a été coupée à la suite d’impayé et qui ne parviennent pas à obtenir de rétablissement, y compris si l’impayé concerne un ancien logement dont le contrat est résilié.
  • Par ailleurs, bien que les refus de vente soient illégaux, certains fournisseurs, informés des difficultés de paiement des consommateurs, refusent de leur établir un contrat de fourniture. Le médiateur national de l’énergie est régulièrement confronté à ce type de cas.
  • Enfin, les fournisseurs ont la possibilité de prévoir dans leurs CGV le versement d’un dépôt de garantie avant d’activer un contrat, ce qui peut constituer un frein à la souscription. Ainsi, fin 2015, lors de la suppression des TRV de plus de 36 kVA, des professionnels en difficultés financières se sont retrouvés dans l’impossibilité de souscrire un contrat, le fournisseur EDF lui-même exigeant le versement de dépôt de garantie pour certains clients lors de leur passage en offre de marché.

La fourniture d’énergie en dernier recours pourrait être considérée comme relevant d’un service public d’intérêt général, comme le droit au compte bancaire[3], dont l’objectif est de permettre à toute personne de disposer d’un compte bancaire. Cette mission de fourniture de dernier recours pourrait être confiée aux gestionnaires de réseaux, qui disposent d’un monopole local et ont un rôle de proximité. Le médiateur national de l’énergie considère que cette solution serait la plus simple et la plus rapide à mettre en œuvre, même si ENEDIS et GRDF n’y sont a priori pas favorables. Elle pourrait également être confiée à un ou plusieurs fournisseurs d’énergie qui seraient désignés au terme d’un appel d’offres.

Cette proposition, portée par le médiateur depuis plusieurs années, apparaît d’autant plus urgente au vu de la crise énergétique en cours. En effet, le médiateur national de l’énergie est régulièrement sollicité par des TPE et des PME qui ne parviennent pas à souscrire de contrat avec un fournisseur d’énergie acceptant de leur proposer une offre dans des conditions raisonnables, et ce malgré les engagements pris par les fournisseurs qui ont signé une charte avec l’État. La situation dans les territoires desservis par les ELD est particulièrement problématique, puisque, dans la plupart des cas, la concurrence n’existe pas dans les faits.

La création d’un fournisseur de dernier recours permet de garantir à tous les consommateurs, sur l’ensemble du territoire, la possibilité de souscrire un contrat d’énergie. Cette proposition est à distinguer de celle qui consiste à instituer une puissance minimale d’alimentation pour les particuliers, qui ne concerne que les contrats en cours des particuliers.

Étendre l’application de la trêve hivernale au gaz propane

Actuellement, la trêve hivernale des coupures d’énergie pour les particuliers ne concerne que l’électricité et le gaz naturel.

Le médiateur national de l’énergie demande d’étendre l’application de la trêve hivernale aux consommateurs domestiques alimentés par une citerne de gaz de pétrole liquéfié (GPL) et à ceux raccordés à un réseau de gaz propane.

Porter à trois semaines le délai de paiement d’une facture d’énergie

Le décret du 13 août 2008, relatif à la procédure applicable en cas d’impayés des factures d’électricité, de gaz, de chaleur et d’eau, fixe la date limite de paiement d’une facture d’énergie à « 14 jours après sa date d’émission ». Ce délai est trop court, car il inclut le temps nécessaire à l’envoi de la facture, et le cas échéant le délai nécessaire à l’envoi d’un TIP ou d’un chèque. Compte tenu des délais d’acheminement postal et de traitement interne par les fournisseurs, le consommateur ne dispose en général que d’une semaine effective pour régler sa facture, ce qui est trop court et le met trop souvent en risque d’impayé.

Le médiateur national de l’énergie propose de modifier le décret du 13 août 2008, et de porter à 3 semaines après son émission le délai de règlement d’une facture.

[1] Page 10 : « Dans ce domaine, le CESE recommande : (…) de prévoir légalement un fournisseur de dernier recours de l’électricité. »

[2] ACER – CEER Energy Retail and Consumer Protection 2023 Market Monitoring Report

[3] Article L312-1 du code monétaire et financier.

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